Description
Depuis sa parution en 1904, Émile Nelligan et son œuvre a fait l’objet d’une fascination littéraire à nulle autre pareille. Fait rare dans l’histoire littéraire du Québec, l’œuvre consacre simultanément un grand poète et un grand critique, dont l’amitié scellera la destinée.
Le potentiel interprétatif du recueil repose en grande partie sur son organisation interne, ébauchée par Émile Nelligan (1879-1941) mais parachevée par Louis Dantin (pseudonyme d’Eugène Seers, 1865-1945), le réel maître d’œuvre de l’architectonique du livre. En l’accompagnant d’une préface qui fera école tant au point de vue de la critique d’interprétation que pour la compréhension de la poésie nelliganienne, Dantin apporte la touche finale à cette œuvre totale.
Alors que la lyre canadienne avait jusque-là chanté le patriotisme et le terroir dans des gammes parfois romantiques, d’autres fois classiques, Nelligan trempe sa plume dans un encrier aux teintes plus éclectiques. Son mal de vivre prend des accents symbolistes, avec Baudelaire et Verlaine comme modèles. Le travail sur la structure des textes ainsi que l’attention portée à la sonorité et à la rythmique dénotent une grande modernité pour l’époque, sans pour autant se détourner des formes fixes. Le vocabulaire, tantôt précieux, tantôt exotique, trahit l’héritage parnassien du poète et son ouverture sur l’Ailleurs. Même les paysages hivernaux ont des airs de « nouvelle Norvège », à des kilomètres des rives du Saint-Laurent. On comprend dès lors le reproche formulé par le préfacier (qui s’est par la suite rétracté) à propos de l’absence de « cachet canadien ». D’un jugement ferme et nuancé, Dantin est le premier à dire les limites de cette poésie de l’émotion comme ses grandeurs. En exhaussant le sens de l’œuvre, il crée du même souffle le mythe nelliganien tirant sa source à la dialectique génie-folie, mort-vivant, homme-enfant.
Outre l’impact notable de la lecture d’Émile Nelligan et son œuvre sur la venue à l’écriture de plusieurs poètes des générations subséquentes, le recueil fera ni plus ni moins entrer la littérature québécoise dans son ère « poésie nouvelle » en France, mais également en élevant le discours critique à un statut d’interprétation jusque-là inégalé en matière de critique littéraire.
Choix d'études
La bibliographie reflète l’esprit bifide de l’œuvre en incluant des études sur la poésie et sur la préface.
Gérard Bessette, dans Les images en poésie canadienne-française, Montréal, Éditions Beauchemin, 1960, p. 215-274.
Jacques Blais, « Poètes québécois d’avant 1940 en quête de modernité », dans L’avènement de la modernité culturelle au Québec, sous la direction d’Yvan Lamonde et Esther Trépanier, [Québec], Éditions de l’IQRC, 2007 [1986], p. 17-42.
Pascal Brissette, Nelligan dans tous ses états : un mythe national, [Saint-Laurent], Fides, 1998, 223 p.
Placide Gaboury, « Du projet d’existence au projet critique : Nelligan », dans Louis Dantin et la critique d'identification, Montréal, Hurtubise HMH, coll. « Reconnaissances », 1973, p. 59-98.
Pierre Hébert, « "Nelligan est-il l’auteur de ses vers ?" Aux sources d’une polémique qui a traversé le siècle », Nouveaux regards sur nos lettres, sous la direction de Stéphanie Bernier et Pierre Hébert, Québec, Presses de l’Université de Montréal, 2020, p. 192-206.
Gilles Marcotte, « Émile Nelligan », dans Une littérature qui se fait, HMH, 1962, coll. « Constantes », p. 98-106.
Jacques Michon, Émile Nelligan : les racines du rêve, Montréal et Sherbrooke, Presses de l'Université de Montréal / Éditions de l'Université de Sherbrooke, 1983, 178 p.
Jacques Michon, « Émile Nelligan (1879-1941) "anges noirs" et "frissons nouveaux" », dans L’atlas littéraire du Québec, sous la direction de Pierre Hébert, Bernard Andrès et Alex Gagnon, Montréal, Fides, 2020, p. 143-145.
Réjean Robidoux, Connaissance de Nelligan, Montréal, Fides, coll. « Le Vaisseau d'Or », 1992, 183 p.
Patrick Thériault, « Un hommage "colloquialement distingué" : "Le tombeau de Charles Baudelaire" de Nelligan », Voix et images, vol. 42, n° 3 (126), 2017, p. 103-116.
Notes sur l’édition
Date de parution : Le recueil de poésie Émile Nelligan et son œuvre a été publié pour la première fois en 1904 à la Librairie Beauchemin, située à Montréal. Il est né d’un geste de sélection (et d’exclusion), de transcription, d’assemblage et de composition typographique des poèmes manuscrits et prépubliés, geste pris en charge par Louis Dantin, avant d’être complété par la Librairie Beauchemin sans grand soin d’uniformité. Cinq années plus tard, Louis Dantin annote son exemplaire personnel du recueil, qu’il agrémente de ses corrections (variantes, ajouts et ratures). Des rééditions du recueil de 1904, non supervisées par Dantin, paraîtront en 1925, 1932 et 1945. Pour plus de détails sur les premières éditions du texte et sur le travail éditorial apporté par Louis Dantin, se référer à l’édition critique des Presses de l’Université de Montréal.
Texte de référence : Émile Nelligan (préface par Louis Dantin), Émile Nelligan et son œuvre, édition critique établie par Réjean Robidoux, Montréal, Presses de l’Université de Montréal (Bibliothèque du Nouveau Monde), 1997, 297 p.
Établissement du texte : Le texte que nous reprenons est conforme à l’édition de référence des Presses de l’Université de Montréal. Il ne comprend toutefois que le texte d’Émile Nelligan et de Louis Dantin, sans l’appareil critique (commentaires, notes et variantes) de Réjean Robidoux. Ce texte est fondé sur l’édition originale de 1904 tout en tenant compte des ajouts et ratures de l’exemplaire unique annoté par Louis Dantin en 1909. Il respecte la langue de l’époque des auteurs et préserve ainsi les tournures et graphies archaïques (comme « encor ») tout en normalisant l’usage des signes typographiques (trait d’union, accent circonflexe, accentuation des majuscules) et en rectifiant les coquilles évidentes. Les seules modifications introduites à l’occasion de la présente édition numérique visaient, en de rares cas, à rectifier des coquilles subsistantes, en conformité avec les intentions éditoriales de Réjean Robidoux et des Presses de l’Université de Montréal.
Accès à l'édition originale numérisée (Canadiana en ligne) : Émile Nelligan (préface par Louis Dantin), Émile Nelligan et son œuvre, Montréal, Librairie Beauchemin, 1903 [i.e. 1904], 164 p.
Accès au texte de l'œuvre en version brute (format markdown) : nelligan-dantin-emile-nelligan-et-son-oeuvre.md
Date de publication de l'édition numérique : 2020
ISBN de l'édition numérique : 978-2-924446-25-6
DOI de l'édition numérique : https://doi.org/10.47123/GJGI8457